Dimanche, après avoir écrit le billet précédent je me suis dit que, peut-être, ça vous intéresserait de savoir comment mes enfants parlent le français. Mais pour comprendre comment il faut savoir pourquoi et donc un peu connaitre leur parcours, en particulier en ce qui concerne la scolarité.
C. est née en Grande-Bretagne. Elle y est restée les deux premières années et demie de sa vie sans avoir énormément de contact avec l'anglais vu qu'elle restait avec moi toute la journée. Je l'emmenais bien une fois par semaine au "Baby-Club" mais on ne peut pas dire qu'elle participait énormément. Elle regardait aussi parfois un peu la télévision mais les Teletubbies ne sont quand même pas très bavards! La dernière année elle a un peu progressé grâce à la petite voisine (qui devait avoir dans les 6 ou 7 ans) qui l'adorait et passait beaucoup de temps à jouer avec elle.
Bref C. n'était à l'époque pas du tout bilingue et même plutôt en retard en français. En anglais elle comprenait des instructions simples mais parlait peu.
Son rêve c'était d'aller à l'école: chaque fois que nous passions devant une école elle me disait qu'elle aussi allait bientôt y aller. Seulement dans le système anglais l'école gratuite ne commence qu'a 5 ans je crois. Mais comme nous sommes des parents qui ne refusent rien à leurs enfants, surtout pas en matière d'éducation ;-) nous avions en mai 1998 réussi à trouver une école privée Montessori qui l'acceptait à partir de 2 ans et demi, c'est-à-dire à partir d'octobre. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles (à la nuance près que C. n'était toujours pas propre et pas du tout motivée par son pot...) mais nous avons du partir en Allemagne.
Nous sommes donc arrivés en octobre 1998 en Bavière (la précision géographique a une importance linguistique non négligeable!), dans un village. Je me suis le plus tôt possible renseignée sur les possibilités de scolarisation de ma fille et j'ai vite déchanté: rien avant trois ans révolus dans le public, l'école privée la plus proche à plus de 25 km...Nous nous sommes donc inscrites au "Kindergruppe" où C. ne comprenait que dalle (et moi à peine plus!). Du coup son français s'est nettement amélioré puisqu'il n'y avait pratiquement plus de parasitage par une autre langue (je ne risquais pas de lui parler en allemand malgré mes 13 ans d'étude de cette langue de sauvages! ;-) )
La génération 1996 dans ce village étant beaucoup plus nombreuse que les places disponibles au Kindergarten il y a eu préinscription puis tirage au sort; j'avoue que je redoutais pas mal que le tirage au sort se fasse sans les enfants étrangers mais sur ce coup-là j'ai été agréablement surprise: C. a eu une place! Donc sa toute première rentrée a eu lieu au Kindergarten Maria de la Paz (oui oui c'était bien l'école publique, enfin municipale, mais avec crucifix imposant au mur, Bavière oblige) en allemand, une langue qu'elle ne maitrisait pas du tout...En fait de Kindergarten il s'agissait plutôt d'une garderie améliorée: quand nous demandions à C. ce qu'elle avait fait à l'école, nous avions droit invariablement à la même réponse: "je suis arrivée, j'ai dit "Grüssgott" et j'ai fait un puzzle dur". A tel point que cette phrase est restée dans la famille: souvent quand je demande à Dock si sa journée s'est bien passée il me répond: "tu sais c'est toujours pareil, je suis arrivé, j'ai dit "Grüssgott" et j'ai fait un puzzle dur..."
C. a passé une année scolaire complète plus deux mois en Allemagne: elle commençait à se débrouiller pas mal, au point d'avoir des amis et même des ennemis! Bref elle était bien partie pour être bilingue français-allemand quand nous nous sommes retrouvés aux Etats-Unis...
Quand nous sommes arrivés C. avait 4 ans et demi: trop jeune pour le Kindergarten gratuit. Mais en tant que nouvelle immigrante elle a été testée sur son niveau en anglais (le zéro absolu) et acceptée dans un "pre-K" ESL public. Elle allait donc à l'école tous les après-midis de 12h à 15h avec des enfants de toutes nationalités (mais principalement Mexicains, Chinois et Indiens) et des maitresses spécialisées. Après 6 mois, à la fin de l'année scolaire, elle avait déjà un niveau correct en anglais. Elle a ensuite bénéficié pendant l'été d'un mois de cours ESL intensifs gratuits toute la journée (avec lunchs fournis et bus scolaires) qui lui ont été particulièrement utiles. Elle est ensuite rentrée en "KG" ESL toujours dans une école éloignée de chez nous. C'est là qu'elle a appris à lire et à écrire en anglais. Elle a terminé l'année scolaire avec un niveau équivalent à celui d'un petit Américain et était acceptée dans un "1st grade" normal. Parfait me direz-vous. Oui parfait sauf que son année de"1st grade" elle l'a faite au...Mexique dans une autre langue!
Quand nous nous sommes décidés pour Aguascalientes, j'ai eu quelques angoisses sur la santé mentale de ma fille: comment allait-elle réagir à ce nouveau changement, comment allait-elle s'en sortir avec une nouvelle langue à apprendre? Et surtout je ne voulais absolument pas qu'il se passe avec l'anglais ce qui s'était passé avec l'allemand, c'est-à dire qu'elle oublie absolument tout. (En allemand elle ne se souvient que du fameux ""Grüssgott" qui est en fait une expression typiquement bavaroise.)
En fait nous avons eu de la chance: nous avons mis C. dans une école bilingue espagnol-anglais avec un très petit effectif: ils étaient 5 ou 6 par classe. Sa maitresse d'espagnol de "Primero" parlait anglais et a pris le temps, pendant 3 mois, de tout lui traduire...En parallèle C. avait des cours privés d'espagnol deux fois par semaine et à Noel, elle parlait déjà très très bien. En fait les problèmes se sont plus posés avec l'anglais. Nous avions aussi choisi cette école parce que les profs d'anglais venaient tous de pays anglophones. C. a donc commencé avec une maitresse charmante, spécialisée dans l'enseignement ESL aux US et qui a vite compris que ma fille n'avait pas le même niveau que les autres et donc la faisait travailler plus et plus dur pour qu'elle continue de progresser. Seulement cette maitresse pour des raisons familiales graves a du repartir au bout de quelques mois et a été remplacée par une autre, mexicaine. Et C. est devenue insupportable sans raisons apparentes. Quand j'ai fini par comprendre qu'elle s'ennuyait en anglais, que la prof faisait des fautes et que vraiment ça n'allait pas, je suis allée voir la directrice et la responsable du département d'anglais. Qui ont été on ne peut plus compréhensives
Après différents tests d'anglais et psychologiques il a été décidé que C. resterait en "Primero" en espagnol mais passerait en "3rd grade" en anglais (c'est à dire avec des enfants âgés de deux ans de plus qu'elle). Ca a très bien fonctionné même si parfois ce n'était pas facile à gérer, notamment en ce qui concernait la charge de travail et les activités annexes...C. a donc fait "Primero", "Secundo" et "Tercero" en espagnol et 3rd, 4th et 5th grades en anglais...
Puis nous sommes retournés aux US: cette fois-ci je n'étais pas trop trop inquiète pour ma fille. Elle a été acceptée normalement en 4th grade et a fini la meilleur de sa classe (normal, elle avait déjà fait une partie du programme -en particulier en sciences- au Mexique!) Elle a même gagné le "spelling bee" des 4th grade de son école, ce dont elle était on ne peut plus fière, à juste titre je pense.
Le retour au Mexique s'est fait scolairement parlant dans le calme. Nous ne l'avons pas remise dans l'école d'où elle venait (elle ne voulait pas et puis c'est vrai que cette école est loin et que ce n'était pas très pratique). Elle va donc dans le même "colegio" que son frère, celui aux si beaux uniformes!
Pas de problème de résultats mais plus de problèmes d'intégration que la première fois: il s'agit ici d'une école avec des classes nombreuses, des enfants très bourges et qui ont moyennement bien accepté de voir débarquer d'on ne sait trop où une Française qui non seulement est de très loin la meilleure en anglais mais en plus dans les tous meilleurs en espagnol malgré son accent étrange! En plus ils se connaissent tous depuis la maternelle, dans chaque classe il y a une 'hiérarchie" et ma fille qui n'a pas, il faut bien l'admettre, un caractère facile a eu du mal à trouver sa place. Mais dans l'ensemble ça va.
Rassurez vous ça devrait être un peu moins long pour E'! Lui il est né en Allemagne mais l'ayant quittée à 10 mois il n'en a aucun souvenir linguistique. Lors de son premier passage aux Etats-Unis ses contacts avec l'anglais ont été limités aux programmes de PBS. J'ai bien cherché l'équivalent d'un "Baby-Club" mais je n'ai rien trouvé de laïc...
Bref E' est arrivé au Mexique à 2 ans et demi ne parlant que vaguement le français en n'ayant jamais quitté sa mère et en ne manifestant aucun désir scolaire...Autant dire que sa première semaine d'école dans une langue inconnue, a été assez difficile...Un peu la technique du "marche ou crève": il a choisi la première option et ça lui a bien réussi. Passés les trois premiers mois, il avait fait son trou et commençait à baragouiner l'espagnol. Apres 3 ans il était parfaitement bilingue mais n'arrivait toujours pas à prononcer le "r" correctement, ni en espagnol ni en français. Ses deux dernières années de maternelles ayant été bilingues il commençait à parler un peu anglais quand nous sommes repartis au Texas, mais son niveau était insuffisant pour envisager de le mettre dans un "1st grade" normal. Il a donc été admis en classe bilingue espagnol-anglais. Avec le recul je regrette de ne pas avoir insisté pour qu'il soit plutôt dans le programme ESL. Je pense en effet que les progrès sont plus rapides car les maitresses ne parlent pas une autre langue que l'anglais et les enfants entre eux sont aussi obligés d'utiliser la seule langue commune, l'anglais. Alors que dans les classes bilingues, à la moindre difficulté on passe à l'espagnol et entre eux les enfants, qui ne sont pas complètement fous, parlent aussi espagnol. Il a quand même appris à lire simultanément en anglais et en espagnol (pas si facile que ça, vu que les lettres ne se prononcent vraiment pas de la même manière, mais il faut croire que c'est possible) et a terminé l'année avec un meilleur niveau qu'en août. Et un meilleur accent mexicain...vu que c'est au Texas qu'il a enfin réussi à prononcer correctement le "r" et le "j".
En ce qui le concerne le retour au Mexique a vraiment été facile: c'est la même école que sa maternelle donc il a retrouvé tous ses copains, les maitresses et finalement il est quasi mexicain, seulement meilleur en anglais que les autres...ce qui lui donne une aura auprès de ses copains dont, à mon avis, il abuse...Enfin, qu'il en profite parce que si nous retournons aux Etats-Unis pour lui ça ne va pas être de la tarte...
Comme vous le voyez mes enfants n’ont jamais vécu en France et n’ont jamais été scolarisés dans le système français. Même pas de cours du CNED. Je n’allais quand même pas leur imposer ça en plus de tout le reste. Le français est donc pour eux une langue parlée, presqu'un dialecte familial! C. sait tout de même lire en français (vu que comme me l’a un jour dit une de ses maitresses, on n’apprend à lire qu’une fois dans sa vie) et de temps en temps lit des livres en français (elle adore « Le petit Nicolas » et ce n’est pas du tout une allusion politique ;-) ) Du coup son orthographe s’est améliorée et finalement je pense que si l’on devait retourner vivre en France elle arriverait, après quelques mois difficiles et pas mal de 0 en dictée, à suivre sans peine. Surtout qu’elle (et E’ aussi d’ailleurs) ne seraient probablement pas franchement débordés par les devoirs en langue vivante…Encore que : eux ils parlent et écrivent l’américain et le mexicain, pas le britannique et le castillan…